martes, junio 16, 2020

Jacques Réda / Dos poemas

















Personajes de un suburbio

Ustedes nunca terminan de agregar más cosas,
cajas, casas, palabras.
Sin ruido el amontonamiento aumenta en el centro de la vida
y los empuja a la periferia,
a los basureros, las autopistas, las ortigas;
ustedes sólo existen como restos o humo.
Sin embargo, caminan,
dando la mano a sus hijos alucinados
bajo el cielo vasto, y no avanzan;
se estancan para siempre frente al muro de la extensión
donde las cajas, las palabras rotas, las casas se les reúnen,
los empujan un poco más lejos en esa luz
a la que cada vez le cuesta más soñarlos.
Antes de desaparecer,
ustedes se dan vuelta para sonreírle a su mujer rezagada
pero ella también está atrapada en un remolino de soledad,
y sus rasgos borrosos son los de una vieja foto.
Ella no responde, pesada y desconsolada con el peso del día sobre sus
     párpados,
con ese peso vivo que se mueve en su carne y que la incomoda,
y el último billete del mes plegado en su blusa.

de Amen (1968)


Dos visitas de Bercy

I

Es evidente que el sol se detiene y que ya no va a moverse.
Cuando en el fondo de campos grises bajo las torres descansaría una
     secadora de hierba,
su frente rosa a través de las ramas brilla sobre los techos de Bercy.
Doy vueltas entre el medio del río y el atrio rubio de la iglesia,
soy como el demonio variable de la inmovilidad.
Aquí arenas suavizadas marcan las etapas de la bajada,
párpados superpuestos hacia la vuelta al sueño del agua;
acá percibo a una tímida servidora de la luz:
en un rincón malva del granero lleno de musgo se inclina de perfil,
con las manos en el hueco del delantal porque el trabajo está listo
y en el silencio feliz de su cabeza las últimas palabras son dichas.
Llamé a un gato rojizo que se sentó por cortesía,
que sólo espera una conveniente demora para poder irse otra vez.
Lo siento comprehensivo, pero la circunstancia lo incomoda;
se hunde en su pelo y guiña canónicamente los ojos.
Entonces vuela una urraca y, desde el puente de la estación de la aduana,
rueda el estruendo de un tren blando, entre el hierro y el empedrado,
como el cuerpo adormecido del tiempo cuando se da vuelta en sueños
(y soñando que se escucha dormir en el silencio de París,
donde hago crujir la ventanita de los buzones de la oficina de correos).

II

¿Desde hace cuánto no se ha utilizado el estrecho banco de piedra
empleado en un encogimiento de la balaustrada, en el puente Tolbiac?
Los constructores tenían esos principios o atenciones antaño
para los niños, los enamorados, los bastante pocos paseantes
que se contentan con apreciar los montones de arena abajo sobre el muelle
del río inmóvil todo bordado de lentejuelas de reflejos impresionistas.
Un paseo de gleditschias conduce hasta el puente del ferrocarril.
Allí dominan de un lado las torretas de estilo estación termal,
y del otro un aviso del detergente Saint-Marc QUE LIMPIA TODO.
Se ven también bancos pero de fundición y madera bajo los árboles
cuya base se llena de matas de yuyo como alrededor de un pozo.
Pero nunca se encuentra mucha gente tampoco en estos parajes;
incluso los vagabundos prefieren lugares de menor austeridad.
Sólo la tarde se despatarra ahí, sumergida en tal vaho rosa,
que transforma en pastas de porcelana de Sèvres los cubos que trituran la
     estación de Lyon
y todos los plátanos de Bercy se derrumban de amor sobre la orilla.
Sin embargo un poco de viento hace jugar, entre los pilares del puente,
las manos en esos eslabones de cabellos rubios que flotan, como en la proa
de una embarcación bautizada Paulhan, a toda esa ropa y al pabellón
negro con una calavera y dos huesos en X de los piratas.

de Hors les murs (1982)

Jacques Réda (Lunéville, Francia, 1929), Poesía francesa contemporánea 1940-1997, selección, traducción, prólogo y notas de Jorge Fondebrider, Libros de Tierra Firme, Buenos Aires, 1997

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Foto: France TV/Ere Prod


PERSONNAGES DANS LA BANLIEUE

Vous n'en finissez pas d'ajouter encore des choses,/ des boîtes, des maisons, des mots./ Sans bruit l'encombrement s'accroît au centre de la vie,/ et vous êtes poussés vers la périphérie,/ vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties;/ vous n'existez plus qu'à l'état de débris ou de fumée./ Cependant vous marchez/ donnant la main à vos enfants hallucinés/ sous le ciel vaste, et vous n'avancez pas;/ vous piétinez sans fin devant le mur de l'étendue/ où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,/ vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière/ qui a de plus en plus de peine à vous rêver./ Avant de disparaître,/ vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,/ mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,/ et ses traits flous sont ceux d'une vieille photographie./ Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,/ avec ce poids vivant qui bouge dans sa  chair et qui l'encombre,/ et le dernier billet du mois plié dans son corsage.


DEUX VUES DE BERCY

I
Il est évident que le soleil s'arrête et ne bougera plus./ Comme au fond de champs gris sous les tours se reposerait une faneuse,/ sa face rose à travers les branches luit sur les toits de Bercy./ Je tourne entre le milieu du fleuve et le parvis blond de l'église,/ je suis comme le démon variable de l'immobilité./ Là des sables adoucis marquent les étapes de la décrue,/ paupières superposées vers le retour au sommeil de l'eau;/ ici j'aperçois une timide servante de la lumière:/ dans un recoin mauve de grange plein de mousse elle se penche de profil,/ les mains au creux du tablier parce que l'ouvrage est fait,/ et que dans le silence heureux de sa tête les derniers mots sont dits./ J'ai appelé un chat roux qui s'est assis par politesse,/ qui n'attend qu'un délai convenable pour pouvoir repartir./ Je le sens compréhensif mais la circonstance l'embarrasse;/ il s'enfonce dans son poil et cligne bien chanoinement des yeux./ Alors une pie s'envole et, du pont de la gare de la douane,/ roule le grondement d'un train moelleux, entre le fer et le pavé,/ comme le corps assoupi du temps quand il se retourne en rêve/ (et rêvant qu'il s'entend dormir dans le silence de Paris,/ où je fais grincer ce petit volet aux boîtes du bureau  de poste).

II
Depuis quand n'a-t-on pas utilisé l'étroit banc de pierre/ ménagé dans un retrait de la balustrade, au pont de Tolbiac?/ Les constructeurs avaient de ces principes ou prévenances, naguère,/ pour les enfants, les amoureux, les flâneurs assez rares/ qui se contentent d'apprécier les tas de sable en bas sur le quai/ du fleuve immobile tout pailleté de reflets impressionnistes./ Une allée de gleditschias conduit jusqu'au pont du chemin de fer./ La surplombent d'un côté des donjons de style station thermale,/ et de l'autre un avis de la lessive Saint-Marc QUI NETTOIE TOUT./ On voit aussi des bancs mais en fonte et bois sous les arbres/ dont la base se fourre de touffes d'herbe folle comme autour d'un puits./ Mais on ne rencontre jamais grand'monde non plus dans ces parages;/ même les clochards préfèrent des lieux d'une moindre austérité./ Seul le soir s'y prélasse, plongé dans une telle buée rose,/ qu'elle rend en pâte de Sèvres les cubes qui broient la gare de Lyon/ et que tous les platanes de Bercy croulent d'amour sur la rive./ Pourtant un peu de vent fait jouer, entre les piles du pont,/ des mains dans ces mailles de cheveux blonds qui flottent, comme à la proue/ d'un chaland baptisé Paulhan, tout ce linge et le pavillon/ noir à tête de mort blanche et deux os en X des pirates.

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