René Char / La eternidad en Lourmarin

Albert Camus

Ya no hay línea recta ni ruta iluminada con un ser que nos dejó. ¿Dónde se aturde nuestro afecto? Ojera tras ojera, si él se acerca, es para hundirse de inmediato. Su rostro a veces se imprime sobre el nuestro, produciendo sólo un destello helado. El día que alargaba la felicidad entre él y nosotros no está en ninguna parte. Todas las partes – casi excesivas – de una presencia se han dislocado de golpe. Rutina de nuestra vigilancia… Sin embargo ese ser suprimido se mantiene dentro de algo rígido, desierto, esencial en nosotros, donde nuestros milenarios, juntos, apenas tienen el espesor de un párpado cerrado.
Con el que amamos hemos cesado de hablar, y no es el silencio. ¿Qué es entonces? Sabemos, o creemos saber. Pero solamente cuando el pasado que significa se abre para darle paso. Aquí está a nuestra altura, y luego lejos, adelante.
En la hora nuevamente contenida donde cuestionamos todo el peso de enigma, súbitamente comienza el dolor, el de compañero a compañero, que el hombre del arco, esta vez, no traspasa.

René Char (L'Isle-sur-Sorgue, Vaucluse, 1907- París , 1988),  La parole en archipel, 1962
Traducción de Magdalena Cámpora

L’éternité à Lourmarin
Albert Camus
Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s’étourdit notre affection ? Cerne après cerne, s’il approche c’est pour aussitôt s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le nôtre, ne produisant qu’un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n’est nulle part. Toutes les parties – presque excessives - d’une présence se sont d’un coup disloquées. Routine de notre vigilance… Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une paupière tirée.
Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. Qu’en est-il alors ? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.
A l’heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d’énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l’archer, cette fois, ne transperce pas. 


Foto: René Char, 1971
© Jacques Robert / Editions Gallimard